Dans la Cuisine de l'Herboriste : Articles  

Umami ! Pour une cuisine végétale riche en goût, en nutriments & en protéines (I)

Ingrédients riches en umami

Comment composer une assiette végétarienne ou vegan qui ne donne pas l’impression qu’on lui a juste enlevé quelque chose ?

Quand on végétalise son assiette, on est souvent inquiet de faire face au manque : de saveurs, de nutriments, de plaisir... Et quelle tristesse de se sentir frustré quand on mange !

En se lançant dans l’aventure du food-truck, on s’est posé beaucoup de questions. On voulait que notre cuisine s’adresse à tout le monde. Que, quel que soit son régime alimentaire, on puisse avoir envie de nos plats.

Alors on a fait des tests.
Très vite, on a donné une grande place aux champignons, aux algues, aux produits fermentés. Parce que ces ingrédients procurent le même genre de sensations puissantes qu’on peut avoir en mangeant certains plats de viande : une profondeur de goût, une longueur en bouche, quelque chose qui réveille les papilles et leur donne envie de se resservir…

On s’est rendu compte que cet ensemble de sensations avaient un nom : l’umami.

Ce mot, on l’avait beaucoup entendu, mais on avait qu’une idée vague de ce qu’il désignait exactement.

On a voulu en savoir plus, et on a trouvé un outil puissant pour la cuisine végétale, au service du goût, mais aussi de notre santé : l’umami est un indicateur de la richesse nutritive d’un aliment, notamment de sa richesse en acides aminés.

Si, pour vous aussi, ce mot est encore flou, on vous donne d’abord quelques clés de compréhension, avec un petit détour par l’histoire de sa découverte.

Si vous y voyez déjà très clair, vous pouvez vous rendre directement au 2e article de cette série pour (re)découvrir les sources végétales qui sont les plus riches en umami, et des idées et astuces pour les intégrer facilement dans votre cuisine.

Sinon, on commence par le commencement.

Culture de pleurotes bleues

Qu’est-ce que l’umami ? Et pourquoi sa définition paraît d’abord perturbante...

La première chose qui rend la définition d’umami compliquée, c’est qu’on a du mal à se représenter concrètement son goût.

Franchement, en lisant les définitions de ce mot, on se sent un peu comme un disciple idiot devant un maître sage, mais un peu cryptique :

« - Umami se traduit par "savoureux".

 - D’accord, mais "savoureux", c’est vaste quand même, non ?

- Il est aujourd’hui généralement admis par la communauté scientifique qu’il est le cinquième goût de base, mais cela a été l’objet de controverse.

- Un goût "de base" qui suscite la controverse… c’est un peu étonnant ! Mais moi, ce que je veux surtout savoir, c’est de quel goût on parle ?

- C’est un goût plaisant de bouillon ou de viande.

- Là, je ne suis pas sûre de voir le rapport entre les deux… et un bouillon, est-ce que c’est vraiment à ça qu’on pense directement quand on dit "savoureux" ?

- C’est le goût donné par l’acide aminé L-glutamate.

- Alors, je n’ai pas vraiment l’habitude qu’on m’explique un goût avec des noms de molécules, mais j’imagine que c’est là, le rapport entre le bouillon et la viande...

- Il n’est pas savoureux en soi, mais provoque la salivation et une sensation enveloppante et durable dans la bouche. Il améliore la saveur d’une large variété d’aliments, surtout en présence d’un arôme assorti.

- Ok, alors si je résume : ce n’est pas vraiment à son goût lui-même qu’on reconnaît l’umami, mais plutôt à ses effets physiologiques sur l’organisme et à sa capacité à se lier à d’autres saveurs et à les révéler.

- Oui. Finalement, quand il y a de l’umami, notre corps réagit positivement et nous dit : "C’est délicieux" ! A l’origine de cette sensation, il y a un acide aminé, le L-glutamate, qui a été isolé. Et pour faire cette découverte, les recherches scientifiques se sont concentrées sur… le goût d’un bouillon.

- Mais pourquoi un bouillon ?

- Pour comprendre ça, il faut faire un petit détour par l’histoire. »

Pumpkin pie avec chips de cèpe caramélisée

Un peu d’histoire : les promesses du bouillon-cube

Si on remonte un peu dans le temps, on comprend que la découverte de l’umami avait des enjeux économiques et sanitaires importants.

Suivez-nous :On est au XIXe siècle, avec sa révolution industrielle, son exode rural, et l’arrivée en ville de travailleurs qu’il faut pouvoir nourrir malgré leur très faible pouvoir d’achat. Et quand on dit nourrir : c’est aussi préserver la force et la santé de cette main-d’œuvre pour veiller à leur productivité et éviter la propagation d’épidémies dans des villes de plus en plus peuplées.

L’invention (vers 1865), puis la commercialisation des "extraits de viande" par le chimiste allemand Justus von Liebig est destinée à répondre efficacement à ce problème. D’abord vendus sous forme de "sirops", ces extraits prendront par la suite la forme des bouillons-cubes que nous connaissons encore tous aujourd’hui

On a trouvé dans un film documentaire une phrase qui résume parfaitement cet esprit :"Éclairer le peuple en vulgarisant la science, fortifier la main d’œuvre, fournir au moteur humain son carburant de protéines animales : c’est de cette modernité-là dont Liebig est le nom [1]."

Ce produit rencontre immédiatement un grand succès. En 1899, il a déjà pris une place importante dans la cuisine populaire, quand le futur inventeur de l’umami, Kikinae Ikeda, arrive en Allemagne pour étudier la chimie à l’Université de Leipzig.

Et c’est dans ce contexte que ce dernier se lance dans la recherche de l’"essence" du bouillon dashi, élément central de la gastronomie japonaise : il cherche alors des protéines non plus du côté de l’animal, mais des algues et du monde végétal, pour trouver un produit plus adapté aux ressources et aux goûts du Japon.

Assortiment d'inspiration japonaise

Une découverte au croisement entre cuisine et chimie

Les recherches du scientifique vont le mener à ce qu’il va appeler l’umami, qui adjoint l’adjectif japonais "umai" pouvant désigner à la fois un goût de bouillon ou de viande, mais aussi quelque chose de délicieux, et "mi", qui signifie "l’essence de".

A l’origine de ce goût, il isole une molécule, sous la forme d'un petit grain blanc : le glutamate monosodique, présent notamment dans le kombu, une algue du genre Laminaria, très consommée au Japon et l’un des principaux ingrédients du bouillon dashi.

Finalement, l’histoire de la découverte de l’umami est aussi celle d’un mariage entre les disciplines et les époques : l’essence du bouillon traditionnel japonais capturée par un chimiste visionnaire dans un minuscule cristal blanc, on croirait presque à l’œuvre d’un alchimiste…

Voilà pour le côté chimie. Allons maintenant voir un peu côté saveurs…

Kombu royal (Archipel des Ebihens)

Le goût des protéines : à la recherche d’alternatives végétales aux "extraits de viande"

C’est aussi à cette époque que certains scientifiques commencent à s’intéresser à la notion de goût.

En 1864, le physiologiste allemand Adolf Fick propose de retenir 4 saveurs primaires, associées à 4 types de récepteurs gustatifs. Ces saveurs sont aussi associées à l’identification d’aliments nutritifs :

  • Le sucré indique la présence de glucides, fortement énergétiques.
  • Le salé celle de minéraux indispensables à notre organisme, comme le sodium.
  • L’acide signale un aliment qui va intervenir sur l’équilibre acido-basique.
  • L’amer lance une alerte sur une potentielle toxicité de l’aliment pour l’organisme.

En 1908, lorsque Kikunae Ikeda propose l’umami comme un 5e goût de base, il explique que le goût naturel pour l’umami serait lié au fait qu’il est un indicateur de la richesse en protéines d’un aliment [2].

Mais son hypothèse n’est pas prise au sérieux par une partie de la communauté scientifique, et c’est vraiment dans les années 2000, avec la découverte par des chercheurs de l’Université de Miami d’un récepteur gustatif spécifique au L-glutamate chez l'humain, qu’elle revient sur le devant de la scène [3].

Si on met de côté le débat sur les saveurs de base, on voit bien que la démarche qui consiste à aller chercher une alternative végétale protéinée est très avant-gardiste : les décennies de recherches qui ont succédé à la découverte de l’umami constituent une mine d’or pour le cuisinier végétarien, vegan, ou simplement pour les personnes qui cherchent à réduire leur consommation de viande.

Maintenant que l’umami n’a plus de secret pour vous, passons à la pratique !On vous retrouve dans la 2e partie de cette série pour découvrir ses principales sources végétales et des astuces pour les intégrer facilement à votre assiette.

Sources :

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