Dans la Cuisine de l'Herboriste : Articles  

Le goût du sauvage ou comment révolutionner votre cuisine avec quelques notions de botanique & de biochimie

Cueillette de cynorhodons en bords de Rance

Quel bonheur de partir dans la nature avec son panier pour ramasser des plantes qu’on préparera au retour. Et quel plaisir de cuisiner ses cueillettes !

Et si on vous disait que la connaissance des plantes sauvages pouvait aussi complètement transformer votre manière de cuisiner ?

C’est-à-dire : même dans votre vie de tous les jours, avec tous ces ingrédients que vous avez l’habitude d’utiliser !

C’est ce qui s’est passé pour nous.

Pourquoi ?

Jusqu’à ce qu’on découvre l’herboristerie et la botanique, pour nous, une carotte était tout simplement… une carotte !

Et puis, en s’initiant aux plantes sauvages, on a découvert des choses incroyables :

  • Notre carotte cultivée descend de la carotte sauvage, dont la racine est toute grêle, et pas du tout orange !
  • L’orange de notre carotte est dû à la présence de caroténoïdes, pigments aux vertus anti-oxydantes qui sont extraits dans l’huile.
  • On peut manger ses feuilles, ses fleurs et ses graines – qui sont légèrement aromatiques.
  • Ce n’est pas étonnant, car elle fait partie de la famille des Apiacées, dans laquelle on trouve beaucoup de plantes contenant des essences utilisées pour leurs arômes – comme le fenouil, le cumin, le carvi, la coriandre…

Il y aurait encore mille choses à dire sur la carotte, mais ce n’est pas le sujet. Vous voyez où on veut en venir...

C’est en découvrant la carotte sauvage qu’on a complètement changé de regard sur ce légume auquel on était tellement habituées qu’on n’en voyait plus du tout la richesse.

On a eu envie de ré-apprendre à l’utiliser, différemment cette fois.

Dans cet article, on vous propose un jeu des 7 familles pour (re)découvrir quelques notions de botanique et de biochimie qui nous ont fait vraiment évoluer dans notre pratique de la cuisine – et de l’herboristerie, d’ailleurs.

Cueillette avec la mer en toile de fond

1. Dans la famille du pissenlit je voudrais... l’amertume

Les Asteracées sont l’une des familles de plantes les plus vastes.

On y trouve beaucoup de salades sauvages comme le Laiteron maraîcher (Sonchus oleraceus), la Lampsane (Lapsana communis), la Laitue scariole (Lactua serriola), et bien d’autres…

Mais aussi de nombreuses plantes qu’on a l’habitude de voir chez nos maraîchers : comme la laitue, la chicorée, les endives ou encore l’artichaut

Dans de nombreuses plantes de la famille des Asteracées, on trouve des métabolites secondaires spécifiques les lactones sesquiterpéniques, qu’on appelle aussi "principes amers" parce qu’elles donnent aux plantes qui en contiennent de l’amertume.

L’amertume est très utilisée en herboristerie : comme beaucoup de poisons sont amers, ce goût met le système digestif dans un état d’alerte pour le pousser à mieux fonctionner.
L’être humain possède 25 types de récepteurs à l’amer (contre un seul pour le goût sucré !). Lorsque ces récepteurs sont stimulés par des molécules amères, l’organisme va augmenter la production de ghréline, une hormone qui stimule l’appétit et la sécrétion de sucs gastriques.
Et comme la digestion occupe une place centrale dans le fonctionnement de notre organisme, on considère que la stimuler va aussi tonifier tout l’organisme : c'est pour cette raison que l'on appelle ces plantes des toniques amères.

En cuisine, on a tendance à se méfier du goût amer, dont on a perdu l’habitude depuis le Moyen-Age. Aujourd’hui, on a plutôt tendance à aller vers des saveurs rehaussées par le gras ou le sucre.

Mais à une époque où nos systèmes digestifs tournent souvent au ralenti à cause de modes de vie sédentaires ou du stress par exemple, amener de l’amertume dans notre alimentation peut être vraiment intéressant.

Crackers à l'Achillée millefeuilles

2. Dans la famille de la guimauve, je voudrais... la douceur

Dans la famille des Malvacées, vous allez trouver les tilleuls (Tilia spp.), les mauves (Malva spp.), ou encore les hibiscus (Hibiscus spp.).

La plupart des plantes de cette famille contiennent des mucilages, molécules qui vont emprisonner l’eau dans une structure de cage pour former un gel. Ces substances vont donc fortement augmenter en volume dès qu’on rajoute du liquide.

Du point de vue des plantes, ces molécules permettent de retenir l’eau et de les préserver de la sécheresse.

En herboristerie, les mucilages sont utilisés pour plusieurs raisons dont :

  • Leurs propriétés réparatrices et protectrices des muqueuses
  • Leur action prébiotique : ils vont nourrir la flore intestinale et contribuer à sa bonne santé.

-> En cuisine végétale, les mucilages ont aussi une place importante en lien avec leurs propriétés texturantes :

N’hésitez pas à cueillir quelques feuilles de guimauve ou de mauve et à les ajouer à vos potages pour les épaissir.

Sans le savoir, vous avez peut-être déjà utilisé des mucilages : car il n’y a pas que les Malvacées qui en contiennent !
Ce sont ces constituants qu’on retrouve dans les graines de chia, de lin ou de psyllium, qui seront tout particulièrement utiles aux vegans et aux personnes intolérantes au gluten.

Pourquoi ?
Surnommé "œuf végétal", le gel formé à partir du chia, du lin ou du psyllium va être utilisé pour ses propriétés épaississantes et liantes proches de celles de l’œuf.

Chacune de ces graines va avoir sa spécificité, être plus ou moins polyvalente, avoir un goût plus ou moins neutre. Par exemple, on peut utiliser le chia ou le psyllium pour donner du moelleux à des muffins ou épaissir des smoothies, le lin pour lier une pâte à tarte sans gluten…

Sablés aux fleurs (notamment Mauve et Rose trémière)

3. Dans la famille du lierre terrestre, je voudrais... les essences aromatiques

La famille des Lamiacées regroupe la plupart des plantes aromatiques qu’on a l’habitude d’utiliser : thym, origan, marjolaine, romarin, sarriette, menthe

La plupart se rencontrent facilement à l’état sauvage.

Dans cette famille, on retrouve donc souvent des essences aromatiques (qui, par distillation, donnent de l’huile essentielle ): ce sont ces molécules qui apportent aux plantes aromatiques leur odeur et leur goût. 

Quand on veut utiliser ces plantes en cuisine ou en herboristerie, plusieurs choses sont bonnes à savoir :

  • Ces molécules sont volatiles :
    -> Vous voulez faire infuser de la verveine dans du lait pour un dessert ? Couvrez toujours votre casserole.
    Et pour les perfectionnistes : récupérez les petites gouttes de condensation sur votre couvercle après cuisson !
  • Elles sont fragiles : Les organes sécréteurs de ces essences vont libérer leur contenu lorsqu’on les froisse ou qu’on les fragmente. Une fois libérées, les essences… se volatilisent !
    -> C’est pour cette raison qu’on fragmente nos herbes aromatiques juste avant de les utiliser.
    -> Si vous achetez des plantes aromatiques séchées, l’idéal est de les choisir entières et non pulvérisées, car elles conservent mieux leurs arômes.
  • Ces molécules sont peu solubles dans l’eau, mais très solubles dans l’alcool et l’huile :
    -> C’est macérées dans l’huile ou dans l’alcool que les plantes aromatiques vont donner le meilleur d’elles-mêmes. Les moines l'avaient bien compris, et certaines de leurs macérations alcooliques de plantes aromatiques sont devenues célèbres, comme le génépi, la chartreuse, ou encore l’eau des Carmes
    Du côté de l’Italie, l’huile aromatisée est un accompagnement classique de la pizza. Si vous voulez aromatiser vos huiles, utilisez plutôt des plantes sèches pour limiter les risques de botulisme.

Mousse myrtille & sauge cristallisée

4. Dans la famille de l’oseille, je voudrais... l’acide

Dans la famille des Polygonacées, vous allez trouver les oseilles et les patiences (Rumex spp.), mais aussi les rhubarbes (Rheum spp.) ou encore le sarrasin (Fagopyrum esculentum).

Les plantes de cette famille contiennent de l’acide oxalique, responsable de leur goût acidulé si agréable.

Il est pourtant conseillé de consommer ces plantes avec modération et en petites quantités, car l’acide oxalique présente une légère toxicité :

  • Consommé en grande quantité, il peut provoquer des troubles rénaux (calculs, insuffisances…)
  • Facteur antinutritionnel, il va se fixer dans le tube digestif à certains minéraux, comme le calcium et le fer, et limiter leur absorption. Consommé de façon répétée, il peut donc provoquer des carences.

Bon à savoir :

  • La teneur en acide oxalique des plantes de cette famille peut varier considérablement d’une espèce à l’autre, et même d’une variété à l’autre.
  • La cuisson peut réduire considérablement la teneur en acide oxalique, sans pour autant l’éliminer complètement.
    -> Il est souvent recommandé de blanchir ces plantes avant de les consommer.

Carré framboise-rhubarbe & meringue à la chlorelle

5. Dans la famille du cresson, je voudrais... les composés soufrés

La famille des Brassicacées regroupe de nombreuses plantes sauvages, comme les cardamines (Cardamine spp.), la bourse-à-pasteur (Capsella bursa-pastoris), ou l’alliaire (alliaria petiolata)…

…mais aussi beaucoup de légumes de consommation courante, comme les choux, la moutarde, la roquette, les radis ou encore le raifort.

La plupart de ces plantes ont une saveur piquante très agréable à utiliser en cuisine, liée à la présence de glucosinolates.

Quand les tissus des pantes qui en contiennent sont abîmés, les glucosinolates sont convertis en isothiocyanates, ce qui leur donne leur goût… mais aussi cette odeur si caractéristique des choux !

Pour ne rien gâcher, les isothiocyanates ont des propriétés détoxifiantes et antioxydantes.

-> En cuisine, les Brassicacées font d’excellents condiments : on connait la moutarde, qui est faite avec les graines de la plante du même nom, mais on va obtenir une préparation assez proche en utilisant des graines d’alliaire ou de cardamine, par exemple. Évidemment, la récolte peut être fastidieuse !

Pour faire plus simple, on peut utiliser ces plantes pour faire de délicieux pestos un peu poivrés. Vous trouverez une recette dans notre ebook cadeau "La cuisine de l’herboriste" à télécharger sur le blog : d’ailleurs, la capucine qu’on a utilisée pour cette recette n'est pas une Brassicacée, mais elle contient elle aussi ces fameux glucosinolates !

Par contre, ces substances peuvent irriter les muqueuses : attention si vous avez les intestins fragiles !

Moutarde aux baies de sureau noir

6. Dans la famille de l’églantier, je voudrais... le sucré

La famille des Rosacées est très diversifiée.

La plupart de nos arbres fruitiers en font partie (pommier, poirier, prunier, abricotier, cerisier), mais aussi les fraisiers, les framboisiers…

En sauvage, on trouve aussi des arbres et arbustes de cette famille dont les fruits sont comestibles : le prunellier, l’aubépine, la ronce, l’églantier

Ces fruits sont riches en glucides, en vitamine C, mais aussi en pigments antioxydants.

Certains sont riches en pectines, qui agissent comme un épaississant et un gélifiant naturels : c’est le cas des pommes, des coings, des prunes, des cerises…

Comme les mucilages, les pectines sont des prébiotiques et participent à la bonne santé de la flore intestinale.

C’est surtout en pâtisserie que la pectine est utilisée, généralement pour texturer les confitures et les gelées.

La pectine industrielle est obtenue à partir de marc de pommes (et aussi de pulpe de citron) récupéré par les fabricants de boissons.

-> Au lieu de les jeter, pourquoi ne pas utiliser les trognons et parures de pomme pour faire une délicieuse gelée ? Vous pourrez même utiliser cette gelée pour aider des confitures de fruits moins riches en pectine à prendre.

Bon à savoir : La teneur en pectine des fruits varie en fonction de leur degré de maturité. En général, les fruits immatures contiennent plus de pectine que les fruits mûrs.

Prunellier en fruits

7. Dans la famille des chénopodes, je voudrais... le salé

Certaines plantes de la famille des Amaranthacées ont la particularité d’être capables de pousser sur des sols très riches en sel. On les trouve souvent dans les régions littorales.

C’est le cas de la salicorne (Salicornia herbacea), du pourpier maritime (Atriplex halimus), ou encore de la bette maritime (Beta vulgaris subs. maritima)… qui est à l'origine de la betterave cultivée, mais aussi des blettes !

Généralement riches en minéraux, ces plantes sont naturellement salées, et très agréables à utiliser en cuisine.

On peut, par exemple, faire des chips avec des feuilles de pourpier maritime ou d’obione (Halimione portulacoides), en les badigeonnant simplement d’huile et en les passant une petite dizaine de minutes au four à 180°C.

Une fois séchées, on pourra les piler et les intégrer dans des condiments maison comme du gomasio, ou s’en servir simplement comme poudre.

On trouve facilement des salicornes dans le commerce : elles sont souvent conservées dans le vinaigre pour préserver leur croquant.

Les plantes de cette familles – parmi lesquelles on trouve aussi les épinards – contiennent elles aussi de l’acide oxalique, on conseille donc de les consommer avec modération !

Obione, plante caractéristique des prés-salés

Voilà quelques notions de botanique et de biochimie qui ont complètement transformé notre manière de cuisiner, jusqu’au regard porté sur nos ingrédients.

Elles permettent de poser des repères dans cette immensité qu'est le monde végétal, de systématiser certaines techniques de transformation, mais aussi de comprendre quels goûts ou quelles textures on va pouvoir obtenir avec telle ou telle plante.

Quand on anime nos sorties nature et qu’on discute avec les participants, on a souvent l’impression qu’il y a un fossé immense qui sépare les plantes sauvages et les plantes cultivées.

Généralement, ils sont surpris de trouver dans la nature des plantes de la même famille que celles qu’ils utilisent habituellement, et ravis de pouvoir appliquer les informations transmises pendant une sortie de découverte des plantes sauvages à leur cuisine quotidienne.

On espère que vous trouverez dans cet article de quoi nourrir votre cuisine, et surtout, l’envie de découvrir les plantes sauvages, d’être émerveillés par vos légumes et de vous régaler !

Sources :

  • Le Chemin de la Nature, Formation du Cueilleur.
  • F. Couplan, La cuisine sauvage, Éditions Sang de la Terre, 2018.
  • F. Foucaut, Intérêts nutritionnels des plantes sauvages, Éditions du puits Fleuri, 2021.
  • Superbement écrit ! De jolies photos…cet article synthétique mais complet m’a pas permis une petite révision matinale ! Bravo pour votre parcours inspirant !

  • Merci j ai révisé ce matin de façon toute tranquille . Article très utile et magnifiques photos qui mettent l eau à la bouche.

    • Merci Christine pour ce gentil message! On est ravies que cet article t’ait permis de réviser tes cours d’herboristerie avec un petit soupçon de gourmandise. 🙂

  • Bravo pour cette présentation riche et didactique qui ouvre des horizons sur l’utilisation de ces plantes

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